Quel est le meilleur moment pour évaluer les risques psychosociaux ?

17 janvier 2022 par
Quel est le meilleur moment pour évaluer les risques psychosociaux ?
Chloé Baumann

Voilà une question pertinente qui anime bon nombre d’acteurs de la santé et sécurité au travail (SST). Que l’on soit dans les ressources humaines, travailleur désigné, médecin du travail, ou plus généralement acteur de la SST en entreprise, cette question crée nécessairement le débat lorsqu’on souhaite s’intéresser à l’évaluation des risques psychosociaux (RPS).


Les défis de l'évaluation des risques psychosociaux


Si l’on sait aujourd’hui que l’identification des RPS est la stratégie la plus performante pour créer un réel impact, peu d’articles scientifiques mettent en lumière un « moment idéal » pour la réaliser. La vie d’une entreprise étant faite de rebondissements divers et variés, on en vient très naturellement à se demander s’il ne serait pas plus pertinent d’attendre que ceux-ci passent avant de lancer une mesure des RPS, de peur qu’ils ne viennent la fausser. En effet, cette appréhension illustre une des limites d’une analyse des RPS, qui est la réalisation d’une photographie à l’instant T de l’état du stress, du burnout, et des violences dans l’entreprise. Le but étant d’en comprendre les causes organisationnelles à cet instant T, il est naturel d’être inquiet que certains rebondissements incontrôlés puissent être captés et faussent ainsi la situation réelle de l’entreprise.

Que penser alors de la période actuelle, qui semble beaucoup plus critique et incontrôlable que quelques chahutements normaux de la vie de l’entreprise, et qui a également un fort impact sur la qualité de vie au travail des collaborateurs ? Ne serait-ce pas la plus mauvaise période pour lancer une évaluation des RPS ?


L'impact de la pandémie sur les risques psychosociaux


Pour répondre à cette question, des statistiques récentes ont montré le lien entre la pandémie actuelle et les RPS : en 2020, les arrêts de travail pour épuisement professionnel ou raison psychologique sont devenus la 2ème raison des arrêts de travail derrière le covid, les troubles musculo-squelettiques (TMS) étant à présent en 3ème position*. Il est d’ailleurs estimé que 30% des arrêts pour troubles psychologiques d’origine professionnelle sont des arrêts longs (supérieurs à 1 mois)**. Enfin, on note que depuis le début de la pandémie, les risques psychosociaux ont augmenté de 52%***. 

Au vu de ces données, le débat sur le report des évaluations des RPS prend alors tout son sens : « dans un contexte qui noircit le tableau de l’état des risques dans notre entreprise, n’est-il pas préjudiciable de lancer un plan de prévention maintenant ? »

Pour répondre à cette question, il est intéressant de prendre le prisme inverse : « que risquons-nous à reporter le lancement d’un plan de prévention, sans avoir une idée précise de la fin de la pandémie ? ». Plusieurs hypothèses sont envisageables :

  • Nous allons observer une habituation et une résilience à la situation créée par la pandémie, et les RPS vont se stabiliser ;
  • Nous allons mettre en place quelques mesures « en attendant », qui vont permettre de contenir les RPS déjà présents ;
  • Nous allons observer une dégradation de la santé psychique des collaborateurs car la pandémie tire en longueur et la vague actuelle ne signe pour l’instant pas une sortie de crise ;
  • Nous allons mettre en place des mesures pour prévenir l’augmentation des RPS, celles-ci risquant de manquer d’impact au vu de l’absence d’analyse des causes réelles.

Si en termes de probabilités pures, ces hypothèses semblent toutes plausibles, il est important de tenir compte des premières données évoquées plus haut. En effet, la tendance actuelle est d’observer une forte dégradation du bien-être des personnes, tous âges et secteurs confondus. Aussi, il convient de souligner que l’un des avantages majeurs d’une évaluation des RPS à l’échelle de l’entreprise est de pouvoir conserver l’anonymat des participants, qui pourront alors également évoquer des causes de mal-être dont il est encore difficile de parler à titre individuel dans le monde professionnel.

En plus de cela, nous pouvons faire l’hypothèse d’une augmentation des RPS au Grand-Duché à compter du 15 janvier en raison des nouvelles mesures gouvernementales qui s’invitent en entreprise. Les débats autour de la vaccination animent la sphère publique depuis quelques mois, et plusieurs cas de conflits ou de clanismes en entreprise ont éclaté en lien avec ce sujet. Il serait alors naturel d’observer un impact de ces mesures sur les relations sociales en entreprise alors même que celles-ci constituent un pilier solide des facteurs de résilience face aux RPS. 


Faut-il évaluer les risques psychosociaux en période de crise ?


En somme, il est indéniable qu’une crise n’est pas un moment idéal pour s’attaquer à la question des RPS, dans le sens où celle-ci peut clairement impacter le résultat d’une analyse et fausser la part de responsabilité de l’organisation sur les RPS présents. En revanche, pour celle que nous vivons actuellement, faire le choix de passer outre ce désavantage peut changer la donne pour la santé des collaborateurs. Par exemple, nous observons déjà que les entreprises qui travaillent (pro-)activement sur le bien-être de leurs salariés obtiennent une réduction de 0,5 à 5 jours d’absence par employé et par an (hors covid)****. Opter pour le démarrage et l’engagement dans un plan de prévention global des RPS peut donc être un réel facteur différenciant en termes de qualité de vie, de marque employeur, d’attractivité, et de performance. Cela étant, il conviendra de rassembler plusieurs conditions de façon à servir le but visé :

  • Traiter les résultats avec bienveillance : dans une crise, les causes racines des troubles observés sont multiples. Il est fondamental de ne pas avoir un regard condamnant sur certains résultats potentiellement inquiétant, mais plutôt de garder à l’esprit le but primaire de ceux-ci : agir rapidement et avec impact pour préserver ses collaborateurs et son entreprise.


  • Accepter la part d’imprévisibilité d’une crise : parfois, les résultats obtenus peuvent ne pas correspondre à l’image que l’on se faisait de la santé de sa force de travail. Il n’y a rien d’inquiétant à cela, et c’est alors une excellente chose que d’avoir mis en place des moyens d’identifier cet écart !


  • Déconstruire le stéréotype de la frontière stricte entre travail et privé : à plusieurs moments de la pandémie, les sphères professionnelle et privée ont été mêlées, le travail s’est particulièrement invité à la maison, et la vie familiale a parfois dû prendre le pas sur l’emploi. Lancer un plan de prévention des RPS en ce moment impliquerait indéniablement de faire entrer des causes externes à l’entreprise dans un plan de prévention qui lui est interne. Rappelons toutefois qu’il ne nous a pas fallu attendre une pandémie mondiale pour qu’une situation personnelle momentanément difficile vienne impacter le quotidien de travail. Proposer un support aux collaborateurs qui traversent une difficulté – qu’elle soit personnelle ou professionnelle – est alors un véritable win-win pour l’ensemble des parties.


En savoir plus


*Chiffres assurance maladie France et Luxembourg

**Baromètre annuel Absentéisme Maladie : étude de perception Ifop pour Malakoff Humanis (2020)

***Étude de perception Ifop (2021)

****Conseil Économique Social et Environnemental (CESE)

Quel est le meilleur moment pour évaluer les risques psychosociaux ?
Chloé Baumann 17 janvier 2022
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